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Piotr Nikolaïevitch Wrangel
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Piotr Nikolaïevitch Wrangel, est surnommé le baron noir, dès septembre 1918, du fait de son uniforme cosaque, avec des cartouchières, généralement noir[1]. Il est né le 15 août 1878 à Novo-Aleksandrovsk, en Russie (= Zarasai, Lituanie) et est mort le 25 avril 1928 à Bruxelles. Il est inhumé à Belgrade[2].
Piotr Nikolaïevitch Wrangel est l'un des plus brillants chefs militaires russes qui luttent pendant la guerre civile pour arracher leur pays à la dictature des Soviets. Le général Wrangel est aussi une figure de premier plan au niveau politique. D’une famille d'origines baltes, la Maison von Wrangel, qui compte parmi ses membres 44 généraux, maréchaux et amiraux, Piotr Nikolaïevitch est le seul vrai monarchiste avec l'amiral Koltchak parmi les généraux blancs.
Diplômé de l'École des mines, de l’Ecole de cavalerie Nicolas,et de l'Académie d'état-major, cet officier de la garde impériale est un héros de la Guerre russo-japonaise et de la Première guerre mondiale (Prusse orientale et Galice). Échappant de peu au massacre systématique des officiers par les bolcheviques, il n’accepte pas de servir l'hetman ukrainien Pavlo Skoropadsky, soutenu par les Allemands[3].
Piotr Nikolaïevitch Wrangel rejoint l'Armée des volontaires blancs dans le nord du Caucase, en septembre 1918. Il prend le commandement de la 1re division de cavalerie - des Cosaques- puis d’un corps d’armées. Mais, Denikine, chef des armées blanches du Sud divise ses 48.000 hommes en trois armées, lors de l’offensive des armées blanches contre les rouges. Certes, Wrangel s'empare de Tsaritsyne (= Stalingrad, puis Volgograd), mais ce général issu de l’école d’état-major voit bien que le plan de Denikine signifie la condamnation à mort des troupes du Sud de la Russie. Et effectivement l'armée de Denikine est finalement écrasée par l'Armée rouge.
Wrangel ne commande encore que les Armées blanches de la Crimée à la Mer Noire, mais il est nommé général commandant de l'ensemble de l'Armée des volontaires blancs, en décembre 1919. Il succède à Denikine. Hélas, pour lui, il est déjà trop tard. D’ailleurs le général Denikine le contraint à un bref exil au début de l’année 1920.
A cette époque les armées blanches, à l'exception des quelques unités éparses qui se sont réfugiés en Crimée sous le commandement du baron Piotr Wrangel, le successeur de Denikine, sont anéanties[4]. Du fait d'un nouvel échec de Denikine, il redevient commandant en chef de l'Armée blanche et chef suprême civil et militaire du dernier gouvernement contre-révolutionnaire qui subsiste d'avril à octobre 1920.
Le Baron Noir forme un gouvernement qui reconnaît la France. Il est le plus populaire de tous les généraux et donc le plus redouté par les bolcheviques. Wrangel (1878-1928), s’il est un grand chef militaire adoré de ses troupes, sait aussi que la victoire dépend d’une amélioration des conditions de vie du peuple russe et de la mise en place de grandes réformes.
En avril 1920, il profite de l'éclatement de la guerre avec la Pologne pour regrouper ses troupes et passer à l'offensive en Ukraine. Wrangel parvient à réunir 100.000 combattants, des rescapés de toutes les batailles des armées blanches et des massacres organisés par les bolcheviques. Son offensive de juillet 1920 perce les lignes de l’Armée rouge, menace le Donbass. En détournant des troupes bolcheviques, elle contribue à sauver la jeune république de Pologne.
En novembre 1920 il organise à Sébastopol l'évacuation de 140.000 soldats et civils vers Constantinople.
Wrangel vit ensuite sur le yacht Lucullus. Le 15 octobre 1921 il est percuté par le paquebot italien Adria, qui bien entendu vient d'URSS. En 1922, il s'installe en Yougoslavie, à Sremski Karlovci.
En 1924, il crée l'Union générale des combattants russes. En septembre 1927 Wrangel et sa famille s'installent à Bruxelles. Il travaille comme ingénieur à Bruxelles.
Le 25 avril 1928 il est décédé à Bruxelles, empoisonné par le frère de sa servante, qui est un agent bolchevique[5].
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SA FAMILLE[]
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Des ancêtres illustres[]
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Piotr Nikolaïevitch est le descendant d’une famille germano-balte, noble et titrée. La Famille von Wrangel est connue dès le XIIe siècle, dans le Wierland danois (= nord-est de l'Estonie). Ce sont les viri regis de la forteresse de Revel, pour le compte du roi Valdemar II. La tradition familiale affirme qu'ils viennent de Basse-Saxe. Ses ancêtres sont en 1277 vassaux de l'évêque de Riga, notamment dominus Henricus de Wrangele. Sa filiation est compliquée par le fait qu’il existe de nombreuses branches dans différents pays des bords de la Baltique.
Ce baron est en 1919 d’une famille qui compte sept maréchaux, sept amiraux, et puis 30 généraux. Rien qu’en Russie on recense 18 généraux et deux amiraux. Vingt-deux membres de la famille meurent à la bataille de Poltava en 1709.
Le nom de Wrangel atteint une renommée illustre à partir du XVIIe siècle avec le Feldmarschall Carl Gustav Wrangel (1613-1676).
- Moritz von Wrangel (= Mauritius von Wrangel), évêque de Reval et Tallinn au XVIe siècle.
- Hermann von Wrangel (1585 - 1643), maréchal suédois, Gouverneur-Général de la Livonie
- Helm von Wrangel (1599 - 1647), général suédois
- Carl Gustav Wrangel (1613 - 1676), responsable des principaux succès suédois durant la Première Guerre du Nord (1655/60).
- Wolmar Wrangel (1641 - 1675), le commandant suédois.
- Anna Margareta Wrangel, comtesse von Salmis (1622 - 1673), sa femme qui est célèbre.
- Maria Christine Wrangel (1637 - 1691).
- Waldemar Wrangel et Wolmar Wrangel (1647 - 1676), généraux suédois.
- Fabian von Wrangel (1651 - 1737), maréchal et gouverneur suédois.
- Friedrich von Wrangel (1784 - 1877), maréchal prussien et gouverneur de Berlin.
- Ferdinand von Wrangel (1794 - 1870), amiral et explorateur russe.
- Karl von Wrangel (1812 - 1899), général prussien.
- Carl Gustav Otto Christian von Wrangel (1839 - 1908), célèbre hippologue et écrivain suédois.
- Georges Eduard Wrangell (1866 - 1927), historien, juriste et généalogiste
- Margarete von Wrangell (1877 - 1932), écrivain et professeur.
- Wilhelm Wrangell (1894 - 1976), homme d’état estonien, président de la communauté allemande d’Estonie.
- Olaf von Wrangel (1928 - 2009), journaliste et important homme politique de la CDU/CSU.
La branche russe de cette famille émigre aux États-Unis, en France et en Belgique après 1920
Piotr Nikolaïevitch Wrangel est le seul baron parmi les chefs militaires blancs, mais il n'a pas vraiment de fortune personnelle. Il est le fils de Nikolay Egorovich Wrangel Joukovski (1847 - 1923), directeur d'une compagnie d'assurances à Rostov-sur-le-Don, critique, historien d'art, écrivain célèbre et collectionneur d’antiquités.
Sa famille ne possède qu'une propriété foncière modeste. Son père va écrire en 1920 ses Souvenirs (1847 - 1920), Du servage au communisme[6]. Sa mère, Maria Dmitrievna Dementieva-Majkova (1856 - 1944) va vivre pendant toute la Guerre civile à Petrograd sous son nom de famille. Après que Peter Nikolaïevitch soit devenu commandant en chef des Forces armées de la Russie du Sud, des amis l'aident à déménager dans un foyer de réfugiés, où elle est enregistrée comme veuve Veronelli. Mais elle travaille dans un musée soviétique toujours sous son vrai nom. À la fin d'octobre 1920 ses amis organisent son évasion en Finlande[7].
Piotr Nikolaïevitch est le petit-neveu d’un professeur célèbre et de Ferdinand von Wrangel (1794 - 1870), amiral, explorateur et ministre russe.
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Mariage et descendance[]
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Piotr Nikolaïevitch Wrangel, encore lieutenant, se marie en août 1907 avec Olga Ivanenko (5 août 1883 - 8 septembre 1968).
Le père d'Olga est chambellan de la cour impériale, descendant de l'ataman de Valachie Ivan Ionenko, ainsi que du célèbre hetman Ivan Mazepa. La mère d'Olga est la fille du célèbre éditeur, critique littéraire et ami d'Alexandre II, Mikhail Katkov. Olga est Demoiselle d'honneur de Leurs Majestés Impériales, et amie de l'impératrice Alexandra Feodorovna. Elle s'intéresse à la médecine et prend des cours de soins infirmiers. Elle est obligée à plusieurs reprises de refuser les propositions de mariage de nombreux prétendants, du fait de son immense charme.
Ils ont quatre enfants qui vont survivre à la révolution :
- Héléna (1909 - 1999)
- Piotr (1911 - 1999)
- Natalia (1913 - 2013)
- Alexis (1922 - 2005)
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INGÉNIEUR, PUIS OFFICIER DE CAVALERIE DE LA GARDE[]
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Fils d'un noble peu fortuné, directeur d'une compagnie d'assurance à Rostov-sur-le-Don, Wrangel passe son enfance et son adolescence dans cette ville. Il étudie d'abord à la maison, puis fait des études dans la même classe que le futur architecte Michael Kondratiev. Wrangel veut, en 1896, devenir ingénieur des mines. Il étudie ensuite à l'École des Mines de Saint-Pétersbourg et obtient son diplôme d'ingénieur en 1901[8].
En 1902, à l’âge de 24 ans, il abandonne cette carrière et s'inscrit à l'école de cavalerie Nikolaev, de Saint-Pétersbourg, où il est rapidement promu au rang d'officier. Mais il donne sa démission, et part pour Irkoutsk, où il est affecté à des missions spéciales par le Gouverneur général. En 1904, Wrangel est cornette dans le régiment de cavalerie de la Garde impériale.
Au début de guerre russe-japonaise, en 1904, il rejoint en tant que volontaire les champs de bataille et intègre une troupe de Cosaques des bords du lac Baïkal, le 2e Régiment de la Transbaïkalie, des Cosaques, puis le 2e régiment de Cosaques Argoun. En décembre 1904, du fait de plusieurs actions héroïques contre les Japonais il est déjà fait sotnik (= officier commandant une centurie de Cosaques) et décoré de l’Ordre de Sainte-Anne de 4e degré et de l’ordre de Saint-Stanislas. Le 6 janvier 1906, il reçoit un avancement dans la tchin (= table des rangs de la noblesse) et est fait capitaine d’un régiment. Désormais pour tous les militaires qui le rencontrent, le général Wrangel est un bon soldat; jeune capitaine, il s'est distingué dans la guerre russo-japonaise[9].
Ce passé glorieux va pousser les alliés à l’aider pendant la Guerre civile. En revenant d’Extrême-Orient, le 6 janvier 1906, il est réaffecté au 55e régiment de dragons finlandais, qui participe à l'expédition punitive du général AN Orlov dans la région des états baltes.
Le 26 mars 1907, Piotr Nikolaïevitch Wrangel est de nouveau garde dans le régiment de cavalerie de la garde, avec le rang de lieutenant. Il rentre à l’Académie impériale d’état-major Mykolayiv, en 1910. Il en sort capitaine d’état-major, en 1911, et est chef d’escadron de la Garde à cheval de 1912 à 1914.
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LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE[]
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En 1914, il s'illustre dès les premières batailles, en s'emparant d'une batterie prussienne, le 23 août 1914[10]. Le 13 octobre 1914 il reçoit l’ordre impérial et militaire de Saint-Georges (4e degré), la plus haute décoration militaire de l'Empire russe. En décembre 1914, il a le grade de colonel, chef d'état-major de la division de cavalerie de la Garde.
Piotr appartient à la suite de l'empereur Nicolas II, de décembre 1914 à octobre 1915. En juin 1915 il reçoit encore une autre médaille :
- Pour le fait que le 20 février 1915, lors de l'attaque de la brigade il a réussi à traverser la rivière. Il a rapporté de précieuses informations sur l'ennemi. Puis, à l'approche de la brigade, il a retraversé la rivière. Il réussit à couper en deux les lignes ennemies. Il a anéanti deux compagnies d'Allemands qui couvraient leur retraite, capturé 12 prisonniers, 4 caissons et des bagages.
En octobre 1915, il est envoyé sur le front du Sud-ouest. Il commande le 1er Régiment Nerchinskogo,jusqu'en décembre 1916. Le 8 octobre 1915 il reçoit le commandement d’un régiment de Cosaques des bords du lac Baïkal. Son courage et ses capacités font de lui un espoir lors des défaites russes. Le baron Wrangel lutte contre des Autrichiens en Galicie en 1916. Wrangel se distingue particulièrement pendant l'offensive Brusilov.
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LA RÉVOLUTION DE FÉVRIER[]
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Major-général le 13 janvier 1917, il prend le commandement de la 2e Brigade de la Division de cavalerie Oussouri, qui fusionne avec d'autres unités de cavalerie et devient le Corps de Cavalerie, en juillet de la même année.
Dès le début de la révolution de Février, il se montre résolu à lutter contre la décomposition de l'armée russe qui se manifeste dès le début de la Révolution. En mars 1917, il est l'un des seuls commandants de l'armée à préconiser l'envoi de troupes à Petrograd pour y rétablir l'ordre. Wrangel est monarchiste et il sait que non seulement l'abdication du Tsar ne va pas régler les problèmes, mais au contraire en créer d’autres.
Comme général-lieutenant, il commande la 7e division de cavalerie lors de l’offensive Kerensky, en juillet 1917. Pour la victoire sur la rivière Zbroutch pendant l’été 1917, il reçoit à nouveau une médaille, mais cette fois-ci des nouveaux dirigeants. Wrangel est fait général de brigade le 22 novembre 1917.
Toutefois le gouvernement provisoire, qui n'aime guère ses points de vue, le démet vite de ses fonctions.
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DÉBUTS DE LA GUERRE CIVILE RUSSE[]
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Après l’échec de Kornilov, Piotr Nikolaïevitch Wrangel et sa famille s’installent en Crimée. Il n'a aucune affectation militaire d'octobre 1917 à juillet 1918. Témoin des horreurs commises par les Rouges en 1918, il n'échappe qu'à grande peine à un sort tragique. En effet, il est arrêté par des marins bolcheviques à Yalta et ne doit la vie qu'à sa femme qui les supplie de l'épargner.
Wrangel vit caché jusqu’à l’arrivée de l’armée impériale allemande. Il part à Kiev, où il pense servir dans les armées de Pavlo Skoropadski, Hetman (= chef) du gouvernement de l’État ukrainien. Mais celui-ci est la marionnette des Allemands et Wrangel veut rester fidèle aux anciens alliés de la Russie tsariste.
Le baron quitte l'Ukraine et rejoint l'Armée des volontaires blancs à Ekaterinodar, au Kouban, où il retrouve le général Denikine en septembre 1918. Il prend le commandement de la 1re division de cavalerie, des Cosaques sur le point de se mutiner. Il rétablit la discipline et fait de cette division une unité d’élite. La qualité des combattants de l’Armée des volontaires est, à cette époque, encore exceptionnellement haute. Le nombre d’officiers et d’anciens combattants rescapés de la Première guerre mondiale y est important.
Cependant le nord du Caucase est attaqué par d’importantes forces bolcheviques, dix fois supérieures en nombre à l’Armée des volontaires. Les Cosaques du Terek qui se révoltent en juillet sont écrasés en novembre par les rouges. Les survivants seront dispersés dans l’empire soviétique.
En septembre-octobre, de violents combats se déroulent à Armavir et Stavropol. Les engagements de l’été 1918 coûtent très cher. Certaines batailles, comme la prise de Tikhoretskaya, entraînent de lourdes pertes. Les volontaires qui remplacent les morts et les invalides sont peu nombreux et mal préparés à des combats aussi violents.
Néanmoins sa 1re division de cavalerie et la 2e deviennent le 1er corps de cavalerie cosaque. Le 1er novembre, son commandant, Piotr Nikolaïevitch Wrangel s’empare de Stavropol. En décembre 1918, les effectifs de combattants atteignent le chiffre de 48.000 hommes. Cette fois, les forces bolcheviques ne peuvent s’échapper, et, au cours de l'hiver 1918-1919, Wrangel et Denikine conquièrent le Kouban, le bassin du Terek et prennent Rostov.
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L’OFFENSIVE DES ARMÉES BLANCHES[]
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Le plan du général Denikine est vaste et ambitieux; tandis que les deux autres armées blanches, attaquent les rouges, celles du général Youdenitch (au nord) et de l'amiral Koltchak (à l’est) font de même. Denikine lance une offensive au sud, à partir de la région de la Volga, du Don et de Kharkov, pour marcher sur Moscou avec trois armées par Saratof, Nijni-Novgorod, par Voronej-Riazan, et par Koursk-Orel-Toula. Plan singulièrement téméraire, de l'avis même du général Wrangel, et qui surtout dépasse de beaucoup les moyens dont dispose Denikine.
Les débuts de la campagne cependant sont illustrés par des succès. Le projet semble en voie de réussite. Piotr Nikolaïevitch Wrangel s'empare de Tsaritsyne (= Stalingrad, puis Volgograd) en juin 1919. Denikine le charge de passer par Saratov et Nijni Novgorod. Cependant, il a subi de grosses pertes lors de la prise de Tsaritsyne et doit se contenter de défendre les places conquises.
Piotr Nikolaïevitch Wrangel critique le plan de Denikine. Les forces l'Armée des volontaires blancs sont insuffisantes pour mener trois attaques. C’est selon ce général, issu de l’école d’état-major, la condamnation à mort des troupes du Sud de la Russie. Lui préconise un regroupement de toutes les forces armées, puis une attaque conjointe sur Moscou. Mais il est monarchiste et la plupart des politiciens anti-bolcheviques sont d’ex-libéraux ou des sociaux-démocrates. Denikine est des leurs.
Donc, dès l'automne de 1919, les revers commencent. L'armée de Denikine est finalement écrasée par l'Armée rouge. Wrangel est envoyé à Kharkov pour limiter le désastre. Lorsqu'il y arrive, il ne peut que constater que l'Armée blanche n'existe plus. En décembre, c’est une retraite précipitée vers le sud et la Mer Noire, et bientôt la débâcle. Piotr Nikolaïevitch est nommé général commandant de l'Armée des volontaires blancs, en décembre 1919, mais cela ne change en rien la situation politico-militaire.
Lors des derniers jours la fin de 1919, le désaccord entre Wrangel et Denikine éclate au grand jour. Wrangel reproche à son chef son implication minimale dans la politique, ainsi que son manque d'audace, d'agressivité et de charisme. Il complote même pour le remplacer mais celui-ci, informé, le relève de son commandement et le renvoie au Kouban.
Au début de l’année 1920, le général Wrangel, en désaccord avec son chef, se retire à Constantinople, le 8 février 1920. Son premier exil va être court.
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PRISE DE COMMANDEMENT[]
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Piotr Nikolaïevitch Wrangel a un visage mince, les traits accentués, le crâne entièrement rasé, les yeux bleus, le teint bronzé, et une courte moustache noire coupée en brosse qui affirme le dessin d'une bouche volontaire[11]. Il est très grand et toujours en uniforme cosaque noir ou gris clair avec un bonnet de fourrure.
Battues, les débris de l'armée de Denikine, poursuivis par les rouges, se réfugient en Crimée. Denikine, terrassé par les événements et dont l'autorité s'affaiblit de jour en jour, prend le parti le 20 mars 1920 de renoncer à son commandement. La situation s'aggrave d'ailleurs du fait que l'Angleterre, représentée à Constantinople par un Haut-commissaire, l'amiral de Robeck, renonce à soutenir l'Armée blanche. Comme nous le rappelle Hélène Carrère d’Encausse, dans L’Empire d’Eurasie, les alliés reconnaissent les républiques du Caucase après la défaite de Denikine.
Le 21 mars, le conseil militaire de Sébastopol, sous la présidence du général Vladimir Mikhailovich Dragomirov (1862 - 1920), choisit Piotr Nikolaïevitch Wrangel comme commandant en chef. Wrangel qui, devant l'impérieux devoir de tenter un dernier effort, accepte malgré les énormes difficultés de la tâche. Le Haut-commissaire britannique, tout en informant le général qu'il n'a plus à compter sur l'aide anglaise, met à sa disposition un cuirassé, le Emperor-of-India, qui doit le transporter de Constantinople en Crimée.
Le général Wrangel, dans ses mémoires, raconte cette période pendant laquelle il succède au chef des armées blanches le plus célèbre, mais qui est devenu un incapable et a laissé ses troupes massacrer des juifs et des paysans innocents, comme nous le dit Hélène Carrère d’Encausse dans L’Empire d’Eurasie. Piotr Nikolaïevitch écrit :
- Le 21 mars, à bord du cuirassé Emperor-of-India, nous partîmes, le général Chatilov et moi, pour la Crimée où, semblait-il, l'épilogue de la lutte était proche. Le lendemain, le même cuirassé qui m'amenait devait embarquer à Féodossia le général Denikine qui, sans prendre congé de son armée, partait pour Constantinople. L'homme jadis si vaillant, si indifférent au danger, au temps de la guerre mondiale, avait changé peu à peu et n'était maintenant plus lui-même.
- Le 22 mars, l’Emperor-of-India jette l'ancre en rade de Sébastopol... La vie paraissait continuer son train ordinaire, et l'idée que cette belle ville vivait ses derniers instants, que, dans quelques jours peut-être, la vague rouge allait la submerger, que les rouges allaient y accomplir leurs sanglantes représailles, cette idée même paraissait invraisemblable.
- ...La première personne de ma connaissance que je rencontrai en débarquant fut le général Oulagaï, commandant de l'armée du Caucase. Cette armée, les cosaques du Kouban et du Terek, ainsi qu'une partie des cosaques du Don, n'ayant pu s'embarquer, se retirait le long du littoral de la Mer Noire sur la route de Sotchi à Touapsé ; elle traînait à sa suite un nombre immense de réfugiés.
- ... Je demandai si la supériorité du nombre ne nous permettait pas d'espérer au moins un succès partiel, la reprise de Novorossisk, qui aurait eu l'avantage de garantir le ravitaillement. Ensuite, après avoir rétabli et réorganisé nos forces, nous aurions pu tâcher de ravir l'initiative à l'ennemi. Mais le général Oulagaï me répondit par un geste découragé. Rien à faire, les cosaques ne se battront plus. Les régiments ont perdu tout leur nerf[12].
Piotr Nikolaïevitch Wrangel comprend qu’il arrive trop tard. Il prévoit même que dans quelques jours, l’Armée rouge prendra la Crimée. D’un tempérament pessimiste mais actif, il organise une parcelle modeste de terre russe, où règne un ordre et des conditions de vie pouvant séduire les hommes croupissant sous le joug des bolcheviques[13], et une campagne un temps victorieuse.
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POURQUOI COMBATTONS-NOUS ?[]
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Lénine a promis la terre aux paysans russes et la paix. Néanmoins, le peuple ne connaît que la misère et la guerre civile sur une grande partie du territoire. Les popes et les croyants sont persécutés. Cependant les masses paysannes n’ont aucune envie de revenir au servage et veulent choisir leur avenir. Wrangel l’a bien compris. Il écrit pendant l’offensive des blancs :
- Le pays est dirigé par toute une série de petits satrapes, à commencer par les gouverneurs pour finir par n'importe quel gradé de l'armée [...] l'indiscipline des troupes, la débauche et l'arbitraire régnant à l'arrière n'étaient un secret pour personne [...] L'armée, mal ravitaillée, se nourrissait exclusivement sur le dos de la population, ainsi grevée d'un fardeau insupportable.
En juin 1920 il lance un appel au peuple russe :
- Ecoute, ô peuple de Russie! Pourquoi combattons-nous ? Pour la foi qu'on nous a souillée et pour les autels que l'on nous a profanés. Pour la libération du peuple russe du joug des communistes, des vagabonds et des criminels qui ont complètement ruiné la Sainte Russie. Pour la fin de la guerre civile. Pour que les paysans, qui ont acquis la terre qu'ils cultivent de leurs mains, puissent poursuivre leur travail en paix. Pour que le travailleur honnête ne doive pas végéter misérablement au soir de sa vie. Pour qu'une vraie liberté et une vraie justice puissent régner en Russie. Pour que le peuple russe puisse choisir lui-même, par élection, son souverain. Aide-moi, ô peuple russe, à sauver la patrie !
Le terme khosyaïn, qu’il emploie, signifie aussi le maître de maison, l’hôte ou le chef naturel. Piotr Nikolaïevitch Wrangel souligne à maintes reprises qu'il ne s'envisage nullement comme le khosyaïn de la future Russie[14]. Il sait bien que tous les blancs ne sont pas monarchistes et respecte cette pluralité. Il déclare aussi :
- De l'autre côté du front, au Nord, règnent l'arbitraire, l'oppression, l'esclavage. On peut être d'avis différent quant à l'opportunité de telle ou de telle forme d'Etat. On peut être un républicain, un socialiste ou même un marxiste extrême et considéré malgré tout que la dite “république des soviets” est l'exemple parfait d'un despotisme calamiteux, qui n'a encore jamais existé dans l'histoire et sous le knout duquel non seulement la Russie mais aussi la nouvelle classe soi-disant au pouvoir, le prolétariat, va périr. Car cette classe, elle aussi, comme tout le reste de la population, a été mise au tapis.
Le général évoque l'ordre minimal qu'il veut instaurer dans les territoires qu'il viendrait à contrôler, afin que le peuple, s'il le souhaite, puisse s'assembler librement et dire sa volonté en toute liberté. A quoi le Commandeur blanc ajoute :
- Mes préférences personnelles n'ont aucune importance. Au moment où j'ai pris le pouvoir entre les mains, j'ai mis à l'arrière-plan mes affinités personnelles à l'endroit de telle ou telle forme étatique. Je m'inclinerai sans condition devant la voix de la Terre russe [15].
Face au monarchiste Vassili Choulguine, Piotr Nikolaïevitch énonce les objectifs de sa politique :
- Sur le territoire de la Crimée, sur ce petit bout de terre, rendre la vie possible... En un mot... montrer au reste de la Russie: vous avez là le communisme, c'est-à-dire la faim et la police secrète, et, ici, chez nous, vous avez une réforme agraire, nous avons introduit l'administration locale autonome (la semstvo), nous avons créé l'ordre et rendu la liberté possible... Je dois gagner du temps, afin que tous le sachent et voient que l'on peut vivre en Crimée. Alors il sera possible d'aller de l'avant... Alors les gouvernements que nous prendrons aux bolcheviques deviendront pour nous une source de puissance....
Son modèle est le Premier Ministre réformateur Stolypine, victime en 1911 à Kiev d'un attentat perpétré par un révolutionnaire, qui était aussi au service de l'Okhrana, la police secrète du régime tsariste. L'un des plus proches conseillers politiques de Piotr Nikolaïevitch Wrangel vient de l'entourage immédiat de ce Stolypine, c’est Alexandre Vassiliévitch Krivochéine.
Leur but est la création dans les campagnes d’une classe moyenne solide, comme les gouvernements occidentaux l'ont fait. Sa réforme agraire fait que les paysans ont le droit à la propriété privée de leur terre par le rachat payé par un cinquième de la récolte annuelle pendant 25 ans. Étant donné que la terre est déjà la propriété des paysans, depuis la révolution, les paiements semblent bien lourds et la loi provoque la colère des agriculteurs.
Piotr Nikolaïevitch est partisan de faire de la Russie un état fédéral. A l’automne de 1920, la langue ukrainienne est dite nationale et il est partisan d’une grande autonomie pour l’Ukraine.
Wrangel veut aussi que la Russie redevienne un allié des démocraties occidentales. Il veut qu’elles continuent à le soutenir tout en laissant les Russes libres de leurs choix politiques et militaires.
Il fait des compromis inconcevables du temps de ses prédécesseurs. Son but est de persuader tous les Russes ou non-Russes de le soutenir. Mais bien avant son arrivée au pouvoir la lutte des partisans blancs est perdue, tant au niveau international, qu'intérieur. Mais Piotr Nikolaïevitch Wrangel va livrer un dernier baroud d’honneur.
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LA SITUATION DES ARMÉES BLANCHES DU FRONT SUD (MARS 1920)[]
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Wrangel écrit dans ses Mémoires :
- On avait fait passer en Crimée près de 25.000 volontaires et environ 10.000 cosaques du Don, l'arrière compris. Les cosaques étaient arrivés sans montures et sans armes. Ils avaient même jeté, en s'embarquant, la plupart de leurs fusils. Les régiments cosaques étaient complètement démoralisés.
- Les régiments volontaires étaient arrivés, eux aussi, dans un état de désorganisation navrante. La cavalerie n'avait pas de chevaux; toutes les unités manquaient de train, d'artillerie, de mitrailleuses. Les hommes étaient déguenillés, aigris pour la plupart, ils n'obéissaient plus à leurs chefs.
- Le front était maintenu par les troupes du général Slaschov, groupées dans le corps de Crimée. Ce corps se composait de débris d'unités militaires aussi bien que d'unités en germe, d'états-majors et de compagnies hors rang; on comptait près de 50 unités d'infanterie et de cavalerie, tandis que le nombre de combattants de ce corps d'armée ne dépassait pas 3.500 baïonnettes et 2.000 sabres. Les effectifs de la 13e armée soviétique, opposée au général Slaschov, comptaient environ 6.000 baïonnettes et 3.000 sabres. Dans ces conditions, les forces du général Slaschov étaient suffisantes pour la défense des isthmes, mais la composition disparate de ses unités, leur manque de préparation aussi bien que le renforcement graduel des troupes de l'adversaire constaté par nos éclaireurs, rendaient notre situation peu sûre.
Le gouvernement britannique refuse désormais de fournir toute aide à l’armée, mais il veut contraindre les dirigeants anti-bolcheviques à négocier. La France a une politique plus nuancée. Elle a peur d’une révolution mondiale et dans un premier temps de voir l’Armée rouge s’emparer de la Pologne.
Wrangel, le 28 avril 1920, baptise ses forces Armée russe. Elle compte 35.000 à 40.000 hommes, qu’il réorganise en trois corps :
- le 1er corps d’armée (général A.P. Koutiepov) avec les divisions Kornilov, Markov et Drozdovski
- le 2e corps d’armée (général Y.A. Slachtchov) avec les 13e et 14e division d’infanterie et des unités de cavalerie.
- le corps du général Pisarev avec la division du Kouban et la 3e division de cavalerie et le corps du Don (Abramov) composé des 2e et 3e division et brigade de la Garde.
Piotr Nikolaïevitch Wrangel renforce ses faibles bandes qui n’existent parfois que sur le papier par plusieurs recrutements successifs et des officiers, soldats et volontaires fuyant la Russie communiste. Il finit par mettre sur pied une armée bien charpentée et toute dévouée. La politique désastreuse des bolcheviks dresse contre eux même les plus pauvres[16]. Ceux qui veulent venger les crimes de la dictature communiste vont au sud.
L'armée de Wrangel compte rapidement 80.000 hommes, qui soutiennent la résistance des Cosaques des vallées du Don et du Kouban.
Peu de temps avant son offensive, le général Wrangel institue l'ordre Saint Nicolas. Il déclare à la minorité du peuple russe qui a encore le droit de lire ses écrits :
- Entendez, les personnes russes, pour ce que nous luttons. Nous voulons la vengeance pour notre foi déshonorée et nos temples profanés ! Nous luttons pour la libération des personnes russes du joug des communistes, des vagabonds et des criminels qui ont apporté la Russie sainte ruiner. Pour la fin de la guerre fratricide ! Pour que les paysans aient une possibilité de posséder la terre comme propriété et du travail dans la paix. Nous luttons pour la liberté et la justice vraies pour ordonner en Russie. Pour que les personnes russes choisissent leurs chefs seuls. Aidez-moi, fils vrais de la nation, à sauver la notre mère patrie !
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LE BAROUD D’HONNEUR DES ARMÉES BLANCHES[]
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Voline écrira :
- Wrangel commença à inquiéter sérieusement les bolcheviques dès le printemps 1920. Plus fin, plus rusé que son prédécesseur il devint rapidement dangereux[17].
Le 13 avril, une première attaque rouge sur l'isthme de Perekop est aisément repoussée. Il lance alors une contre-attaque et parvient à s'emparer de Melitopol et de la Tauride du Nord. Dès le début du mois d’avril 1920 sont entreprises deux opérations de reconnaissance par des débarquements dans la région de Kirillovka, près de Guenitchesk et près du port de Khorly.
Fin mai, l’armée entreprend une offensive générale en débouchant de Crimée par les grands espaces de Tauride du Nord.
À la fin juin, le groupe monté de Jloba est totalement anéanti.
Lors de l’offensive de juillet, les bolcheviques sont chassés d’une importante portion du territoire, jusqu’à Alexandrovsk. Mais dans un entretien accordé au journal Velikaïa Rossiya (= La Grande Russie), qui parait sur le territoire libre, le Général très lucide sur son avenir déclare le 5 juillet 1920 :
- L'histoire honorera un jour le sacrifice et les efforts des hommes et des femmes russes en Crimée, car, dans la solitude la plus complète, sur le dernier lambeau libre de la Terre russe, ils ont combattu pour le bonheur de l'humanité et pour les lointains bastions de la culture européenne. La cause de l'armée russe de Crimée, c'est de se constituer en un grand mouvement de libération. Nous combattons une guerre sainte pour la liberté et pour le droit.
En août se déroule une importante opération de débarquement sur le Kouban, à laquelle sont affectées les forces suivantes :
- 1re et 2e division de Cosaques du Kouban,
- une division combinée,
- la Terek-Astrakhan
- et un certain nombre d’autres unités, sous le commandement du général S.G. Oulagaï.
Les objectifs sont ambitieux. Il veut chasser les rouges de tout le Kouban, puis de la région du Don. Au mois de septembre, Ekatérinoslaw doit être abandonné par les communistes. Piotr Nikolaïevitch Wrangel s'empare, presque sans résistance, de Berdiansk, d'Alexandrovsk, de Goulaï-Polé, de Sinelnikovo, etc.. C'est alors seulement qu'une délégation plénipotentiaire du Comité Central du Parti Communiste, un certain Ivanoff en tête, se rend à Starobelsk (région de Kharkov), où les makhnovistes (anarchistes ukrainiens) campent à ce moment-là, afin d'engager avec eux les pourparlers au sujet d'une action combinée contre les blancs[18].
Le 4 septembre 1920, l’Armée russe poursuit avec succès ses attaques, ce qui permet la libération de Marioupol le 15 septembre. Vers la fin septembre, le front s’étend de la mer d’Azov à l’embouchure du Dniepr, en passant par le haut Tokmak, au nord d’Alexandrovsk (= Zaporojie) jusqu’à Bolchaya Znamenka sur le Dniepr, continuant le long du fleuve. Dans la nuit du 24 au 25 septembre, l’opération Au-delà du Dniepr est lancée, dans laquelle presque toutes les forces de l’armée russe sont engagées. Le manque de mordant de la IIe armée entraîne un échec, et, au soir du 1er octobre, il faut arrêter l’offensive. Les Blancs n’ont pas réussi à liquider le bastion des Rouges à Kakhovsk.
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LA FIN DU GOUVERNEMENT WRANGEL[]
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En octobre 1920, en dépit de conditions humiliantes pour l'Union Soviétique, la Guerre soviéto-polonaise se termine. 250.000 hommes viennent renforcer les armées rouges du sud de la Russie. Pendant la guerre polono-soviétique, Piotr Nikolaïevitch a mobilisé en face de lui des troupes rouges si bien qu'en été 1920, l'Armée rouge, aux portes de Varsovie, est contrainte, faute d'effectifs suffisants, de reculer et se replier, lors du fameux miracle de la Vistule[19].
La période finale de la guerre est le siège des dernières forces blanches en Crimée.
Entre le 15 et le 20 octobre, l'armée makhnoviste (= anarchistes) attaque. La ligne de bataille s'étend de Sinelnikovo à Alexandrovsk-Pologui-Berdiansk. La direction prise est celle de Perekop[20].
Le 28 octobre c’est au tour de l’Armée rouge de lancer une grande offensive. Bientôt, des hordes de cavaliers rouges s’enfoncent sur les arrières de l’Armée russe, menaçant de la couper de la Crimée. Le 21 octobre, les unités blanches doivent se replier en hâte en Crimée. Les Blancs évacuent la Tauride.
La percée soviétique à travers l'isthme de Perekop, malgré des pertes énormes, décide du sort des Blancs. Ils ne sont que 35.000, soit, mais le front est court et la position forte... Néanmoins les Rouges, avançant dans l'eau glacée des Sivaches, tombent dix contre un sur les cosaques du corps de Fostikov épuisés par une longue année de guérilla à travers les montagnes du Caucase[21].
Les bolcheviques envahissent la Crimée. Et pourtant, déjà cernés, le régiment d'assaut, dit de Kornilov, et le second régiment des officiers, dit de Drosdovsky, les attaquent dans le dos et réussissent, filant entre leurs rangs, comme des flèches, à s'échapper de l'étreinte[22].
Une dernière ligne de défense, vers laquelle tous les Volontaires se précipitent, est préparée à Youchoun. C'est là que doit se livrer, selon Wrangel, la suprême bataille qui décidera du sort de l'armée. Les Rouges ne négligent rien pour l'emporter. Deux cents canons sur un front peu étendu - ce qui ne s'est jamais vu encore depuis le début de la guerre civile - ouvrent un feu d'enfer pendant des heures contre les minces tranchées des Volontaires qui ne disposent plus que de quelques pièces d'artillerie usées et d'un nombre limité de coups. Ils les réservent pour affronter l'assaut ennemi.
Les tranchées, une fois aplanies, les communistes russes, lettons, chinois, hongrois s'élancent pleins de fougue contre les blancs. Derrière leurs vagues innombrables, se hérissent dans le soleil les hallucinantes silhouettes des diables rouges, ainsi appelés parce que les cavaliers de ce corps d'élite sont entièrement vêtus de rouge et portent des bonnets à cornes[23].
Dans une dernière allocution, prononcée le 1er novembre 1920, à Sébastopol, devant des élèves-officiers, le général-baron Piotr Nikolaïevitch Wrangel déclare :
- Abandonnée par le monde entier, notre armée exsangue quitte la patrie, après avoir combattu non pas seulement pour notre cause russe, mais pour la cause du monde entier. Nous partons pour l'étranger, non pas comme des mendiants qui tendent la main, mais avec la tête haute, conscients d'avoir accompli notre devoir jusqu'au bout.
Les Volontaires, sacrifiant là leurs derniers obus, leurs dernières bandes de mitrailleuses, tirent sans discontinuer dans ces masses qui montent à l'attaque. Fauchés par milliers, les Rouges reculent un instant, puis des nouvelles vagues s'élancent et forment des vagues humaine. Ce flot ivre, indifférent à la mort, retourne ainsi, à certains endroits, au cours de la nuit, 35 fois à la charge. Et 35 fois, il est repoussé par les contre-attaques du régiment d'assaut de Kornilov et les charges furieuses de la cavalerie des Cosaques du Don, commandée par le brave général Kalinine. La grande plaine est couverte de cadavres ensanglantés. Du côté des Volontaires, les généraux conduisent en personne leurs troupes à l'assaut. Plusieurs sont tués, presque tous autres sont blessés. Le 29, quand la position entière tombe entre les mains de l'ennemi, les meilleurs régiments sont anéantis, le reste de l'armée est exténué[24].
Le même jour, Wrangel lance l'ordre de retraite générale vers les ports. La partie est irrémédiablement perdue. Il ne reste plus qu'à fuir. On jette un rideau de cavalerie à l'arrière pour couvrir l'immense repli de l'armée décimée et de toutes ces femmes, de tous ces vieillards, de tous ces enfants qui sont venus naguère chercher un refuge en Crimée contre la tyrannie bolchevique, et qui s'en vont maintenant en funèbres cortèges sur les routes menant à Sébastopol, à Yalta, à Théodosie... partout où l'on annonce que des bateaux attendant des Russes contraints d'émigrer pour ne pas être assassiné[25].
Ainsi s'achève, par l'abandon définitif de la terre natale, la prodigieuse épopée des Volontaires qui ont vu briller un jour le soleil de la victoire à deux cents verstes à peine de Moscou du fait des plans trop irréalistes de Denikine. Trois années de combats, 800.000 morts !
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L’ÉVACUATION DE SÉBASTOPOL[]
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La retraite[]
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En novembre 1920, les marins, les cosaques, les restes de l’Armée Russe ne se sont pas enfuis de Crimée, ils ont battu en retraite. Ils se sont retirés, avec leurs états-majors, leurs armes et leurs drapeaux.
La retraite s’est effectuée sans hâte, par les routes, avec la sympathie des habitants. Il n’y pas eu de pillage, car ce ne sont pas des bandes armées, mais des unités constituées qui se replient. L’ordre donné par Wrangel d’évacuer la Crimée surprend les troupes en campagne et est interprété de diverses façons. Certains comprennent qu’en raison des moyens limités, il faut limiter le nombre de personnes à évacuer. Wrangel conseille de rester à tous ceux qui ne se sentent pas directement menacés par l’arrivée au pouvoir des révolutionnaires. Les soldats qui quittent ainsi leur unité pleurent en se séparant de leurs camarades de combat. On leur donne, ainsi qu’aux prisonniers rouges trois jours de vivres. D’autres unités au contraire, prennent en chemin dans leurs rangs tous ceux qui souhaitent évacuer. L’effectif de la cavalerie, par exemple, double pendant la retraite. Toutes les unités de valeur se replient au complet.
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L'embarquement[]
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A Sébastopol, à Yalta, à Féodossia et Kertch, dès le 10 novembre 1920, débute l'évacuation de la Crimée. Durant trois jours, 126 navires sont chargés de troupes, des familles de militaires, de la population civile des ports de Crimée.
Wrangel annonce qu’il ne quittera pas la ville tant que le dernier soldat blessé ne soit évacué. Parmi ces réfugiés, se trouvent 12.000 officiers, près de 5.000 soldats, 15.000 cosaques et 10.000 d’écoles militaires[26].
Toutefois, leur dernier commandeur réussit encore à sauver en trois jours avec 120 bateaux 145.693 personnes, soldats et civils, en les embarquant sur des navires qui mettent le cap sur Constantinople. C'est ainsi que commence la première grande émigration russe[27]. La flotte de Wrangel, le Waldeck-Rousseau, des navires anglais, américains et turcs sont là pour sauver ces Russes.
Comme en signe d’adieu, Sébastopol apparaît toute blanche au travers des volutes de fumée brune qui s’échappent des cheminées des bâtiments de guerre et des transports. Jadis, ces bâtiments partaient vers Constantinople pour combattre. Aujourd’hui, le dreadnought Général Alexeiev, le croiseur Général Kornilov, les mouilleurs de mines d’escadre Derzkiy, Pylkiy, Zharkiyet Zorkiy, des canonnières, des sous-marins, des brise-glaces, des docks flottants, des transports, des remorqueurs... évacuent des civils pour toujours.
La flotte de la Mer Noire part pour le pays contre lequel elle a combattu pendant presque deux siècles. Elle ne part pas glorieusement, mais au contraire pour l’exil, pour se mettre à l’abri. A l’étranger !
L’on procède dans les villes de Crimée à des regroupements accélérés. Il n’y a pas de panique, car la population autochtone a beaucoup de sympathie pour l’Armée, et ceux qui partent sont convaincus qu’il y aura place pour tous à bord des bateaux. Lorsque le 12 novembre la compagnie de l’Ecole Alexeievskiy aborde la perspective Ekaterininskiy en chantant fièrement et joliment la vieille chanson étudiante Les champs de notre mère Patrie nous ont nourris et abreuvés la foule qui encombre la rue se met à pleurer, et distribue aux élèves officiers des cigarettes et du chocolat.
L’état-major du commandant en chef répartit les moyens navals et les transports entre les ports, et confie aux écoles militaires le maintien de l’ordre sur les lieux d’embarquement. A Sébastopol, ce sont les écoles Alexeievskiy, l’école d’artillerie Serguievskiy et l'Ataman du Don. A Feodossia, l’école Constantin, et à Kertch l’école Kornilov[28].
Les villes sont prises d’une animation et d’un mouvement inhabituels. Une foule de gens avec des baluchons, des valises, des paquets et des affaires marche ou avance en fiacre, en chariot ou en automobile. Sur le quai, on procède à l’embarquement des unités, des états-majors et des civils[29].
Le commandant de la Flotte de la Mer Noire est l’amiral Kedrov. Par la suite, il raconte :
- Nous avons eu une foule de difficultés qui paraissaient parfois insurmontables. Nous recevions de nombreux rapports comme quoi les machines refusaient de tourner, les ancres étaient bloquées, ou encore que le bateau allait s’échouer dur le fond s’il devait embarquer un seul passager supplémentaire. Certains bateaux quittaient le quai alors qu’ils n’étaient qu’à moitié chargés…
Personne ne rend compte au fur et à mesure, qu'il va falloir embarquer non pas 35.000, mais plus de 100.000 passagers, c’est à dire qu’il va falloir surcharger les bateaux. Malgré l’annonce faite par le commandant en chef que nous allons vers l’inconnu, personne ne veut rester. Il faut envoyer partout des officiers de marine munis de pouvoirs dictatoriaux, armés de revolvers, de menaces et de paroles paternelles. Grâce à eux tout est rentré plus ou moins dans l’ordre : les machines acceptent de tourner, les ancres de se débloquer, les navires ne menacent plus de s’échouer et tous ceux qui désirent être évacués sont acceptés à bord[30].
Dans l’après-midi du 12 novembre, on embarque les derniers passagers arrivés par le train, notamment par celui du commandant de la Première armée, le lieutenant-général Koutiepov. Dans le même temps une délégation des braves régiments du Premier corps, commandée par le général Manstein se présente à l’hôtel Kist, où réside le commandant en chef, pour lui confier leurs drapeaux. La chambre du général commandant en chef est déjà pleine de valises.
Le général Wrangel est pâle comme un linge, habillé d’une tcherkesse noire. Il dit aux officiers rassemblés :
- Je regrette de ne pouvoir faire cette déclaration devant tout le monde. Je vous demande de rapporter mes paroles à tous. Maintenant, je suis convaincu que les Etats-Unis et l’Europe nous ont trahis. Les résultats parlent d’eux-mêmes. Je dispose de si peu de navires que je crains de ne pouvoir même pas y embarquer tous les restes de cette belle armée qui s’approche de Sébastopol en se vidant de son sang. Où nous allons, je ne le sais pas, car je n’ai reçu aucune réponse aux demandes que j’ai envoyées pendant deux jours depuis la catastrophe de Ioushinsk. Nous avons du charbon, nous prenons la mer. Je continue à négocier à la radio, et je pense que ces négociations finiront par aboutir.
- Quel sera notre port d’arrivée, je ne le sais pas, mais où que ce soit, je vous demande de transmettre à toutes les unités que tous doivent conserver ordre et discipline, et ce qui est le plus important, respect mutuel. Car je ne puis parler en votre nom que si je suis convaincu que là-bas nous resterons tels que nous sommes, croyant fermement à nos idées, et que ce n’est pas à nous qu’incombe la responsabilité de notre catastrophe [31].
Le même jour, vers le soir, le commandant de la première armée prend un certain nombre de mesures énergiques pour assurer la sécurité et permettre l’embarquement des unités de son armée qui approchaient de Sébastopol. Jusque tard dans la nuit, accompagné de son aide de camp, il parcourt en automobile la périphérie et les faubourgs de la ville, se rend à la gare, et parcourt à pied une grande distance le long de la voie de chemin de fer pour s’assurer qu’aucune menace ne pèse sur ses troupes.
Au matin du 13, l’arrière garde de la Première armée rentre dans la ville. Dans le port règne une grande animation : sirènes, sifflets, cris de milliers de voix et sifflements de vapeur. D’énormes transports couverts de monde s’approchent, s’inclinent en virant et s’éloignent. Des embarcations, des remorqueurs vont et viennent au milieu des cris et du brouhaha. Le ciel est couvert de gros nuages et il souffle un vent froid d’automne russe. En rade, déjà chargés, se tiennent le Rion à trois cheminée, le suédois Modik et le croiseur français Waldeck-Rousseau. La ville se vide. Des armes et des munitions sont distribuées aux représentants de l’administration locale et aux ouvriers à qui l’on transmet la responsabilité du maintien de l’ordre. Sur la perspective Ekaterinskiy sont stationnés de nombreux chars et véhicules blindés. La nuit tombe déjà lorsqu’on voit apparaître une foule nombreuse sur la perspective Nakhimov. En tête marche le général Wrangel. C’est la population de Sébastopol qui accompagne ce chef populaire. Wrangel s’approche de la garde d’honneur de l’école Atamanskiy qu’on vient de relever et dit :
- Je suis heureux de vous voir aussi fermes et braves que vous l’étiez à Novorossiysk et partout dans la mère patrie. Merci pour l’ordre que vous avez su maintenir et pour votre fermeté d’âme. Nous partons pour l’inconnu. Ce qui nous attend, je n’en sais rien. Soyez prêts à beaucoup souffrir et à être dépouillés. Sachez que le sauvetage de la Russie est entre nos mains.
La nuit du 13 au 14 et la matinée du 14 sont complètement calmes à Sébastopol. Des patrouilles d’élèves-officiers parcourent la ville. Presque tous les bateaux sont partis. Il ne reste sur la rade que le croiseur Kornilov et le Chersonèse . Dans l’après-midi, les postes de garde et les patrouilles commencent à se rapprocher du quai du Comte. Vers deux heures arrive le général Wrangel. Il passe en revue la garde et les rangs des élèves-officiers de l’école Sergueievskiy qui ont tenu les postes de garde et les remercie pour les services rendus. Puis, il ôte sa casquette du régiment Kornilov, se signe, s’incline profondément devant sa terre natale et monte dans son embarcation qui prend la direction du Kornilov. Les élèves officiers embarquent après lui sur le Chersonèse. Le général Stogov, commandant la défense de la région de Sébastopol embarque le dernier. Il s’arrête, fait le signe de la croix et se met à pleurer. Sur les berges la foule pleure et bénit les partants. Il est à peu près quinze heures[32].
Vers seize heures quarante cinq, un mouilleur de mines anglais transmet par radio que les bolcheviques entrent dans la ville.
Le bateaux passent la nuit mouillés à l’extérieur de la rade. L’embarquement est achevé le 15 novembre. Le général Wrangel est encore sur le quai. Le bateau siffle deux fois, mais il manque trois personnes envoyées en ville. Ils arrivent enfin. Troisième coup de sifflet. A bord du croiseur Kornilov, le général Wrangel remonte la file des bâtiments pour leur souhaiter bonne route, ôte sa casquette et s’incline devant sa terre natale. A bord des bateaux, les foules sont tête nue et ont les larmes aux yeux. Pour eux qui se sont battus pour la défendre, il n’y a plus de place dans leur patrie. Ils s’en vont vers l’inconnu, loin des leurs et de la Russie déshonorée.
C’est ainsi que commence l’exode de l’Armée Russe.
Selon les chiffres de l’état major du commandant en chef, ce sont 135.000 personnes qui quittent la Crimée sur tous les moyens de transports et les bâtiment de guerre qui peuvent naviguer par eux-mêmes ou en remorque : 126 bâtiments en tout. Parmi les passagers, 70.000 combattants, embarqués avec leurs armes légères et leurs mitrailleuses (à l’exception de ceux qui, à Sébastopol, ont embarqué sur les navires français Segot et Siam, qui ont été désarmés). Ces dizaines de milliers d’hommes, ce sont surtout les élèves des écoles militaires, les unités les plus fermes de l’arrière-garde qui ont embarqué en presque totalité, les unités combattantes du premier corps d’armée et de la cavalerie, les unités cosaques et les états-majors. Enfin, en grand nombre, les échelons arrières, militaires et administratifs...
Les patrouilles d’élèves officiers embarquent le 16 novembre, alors que le soleil d’automne brille déjà de puis longtemps, et alors les bolcheviques prennent possession du dernier réduit de Crimée. Les bateaux sont surchargés de monde, car il a fallu embarquer tout ceux qui se présentent. On espère, une fois en mer, pouvoir transférer une bonne partie des passagers sur le paquebot Rostislav qui est en mer d’Azov, mais il se révèle qu’il s’est échoué et ne peut pas en sortir, si bien que l’entassement sur les bateaux reste ce qu’il était.
Avant l’évacuation, le général Wrangel prend soin d’interdire tout sabotage ou destruction volontaire de biens qui restent en Crimée. Cette consigne est dictée non seulement par la volonté de conserver ces biens pour les Russes qui restent dans la Patrie, mais aussi dans l’espoir de protéger tous ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu évacuer avec l’armée blanche et la flotte de possibles représailles. Hélas, cela ne les sauve pas d’une justice sommaire.
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Les massacres[]
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La situation des émigrants n’est pas enviable, mais le sort de ceux qui restent en Crimée et à Sébastopol se révèle encore plus amer. Qui peut être sûr de l’avenir de ceux qui sont restés, se demande dans ses souvenirs Anastasia Shirinsky ?
Le chef des rouges, Frunze, envoie à Piotr Nikolaïevitch Wrangel un appel radio lui promettant, s'il capitule, l'amnistie et le pardon complet pour lui et ses troupes. Mais cette déclaration généreuse ne concorde pas avec les ordres signés de Trotski, trouvés sur les cadavres bolchevistes transmis en toute hâte à l'État-Major Général. Le commissaire de l'armée accorde aux soldats, comme récompense de leur victoire, le droit, pendant quatorze jours, d'exterminer librement les ennemis du peuple et de piller leurs demeures[33].
Le dernier vapeur quitte la Crimée le 26 novembre 1920. Beaucoup de réfugiés, de civils et de militaires des armées battues sont restés en Crimée, n’imaginant pas un seul instant leur sort. Certes ils savent que pendant trois années en Crimée, du temps des blancs, environ 1.500 personnes ont été arrêtées par les blancs, et des centaines fusillés.
L’Armée rouge c'est différent ! Les représailles et les massacres contre les ennemis de la révolution commencent en Crimée. Elle entre dans Sébastopol le 26 et tire sur les ouvriers des docks qui ont travaillé à l'évacuation. Les représailles et les massacres contre les ennemis de la révolution commencent en Crimée. Les malheureux qui réussissent à s'échapper des villes racontent que les exterminations sont massives et dirigées par le communiste hongrois Bela Kun. Ce dirigeant révolutionnaire, chassé naguère de Budapest, travaille maintenant pour le compte des Soviets. La terreur rouge fait 50.000 victimes dans la péninsule (d'autres données statistiques parlent de 100.000 meurtres). Le Hongrois, Bela Kun, dirigeant du Comité révolutionnaire de la Crimée, fait du zèle.
Ces jeux barbares divertissaient fort les Rouges qui, harassés de fatigue, démoralisés par les pertes subies... tuent les officiers, les bourgeois, les prêtres, les paysans, les ouvriers mêmes....
Dès le 29 novembre 1920, les Nouvelles du comité provisoire révolutionnaire de Sébastopol publient une liste de personnes fusillées. Leur nombre est de 1.634, dont 278 femmes. Le 30 novembre, le journal publie une seconde liste de 1.202 fusillés, dont 88 femmes. Rien que pendant la première semaine d’occupation de l’armée rouge, 8.000 personnes sont fusillées à Sébastopol. Deux personnages en vue du parti bolchevique dirigent ces exécutions de masse : Bela Kun et Rosalia Zemliatchka.
Les jugements se déroulent selon le concept de l’appartenance à une classe. L’un des chefs de la Tcheka, Martyn Ltsis dit :
- Nous ne faisons pas la guerre à des individus, nous exterminons la bourgeoisie en tant que classe. Ne cherchez pas dans votre enquête des indications ou des preuves des actes ou des paroles antisoviétiques de l’accusé. La première question que vous devez lui poser est : quelle est son origine, son éducation, ses études, sa profession. Ce sont les réponse à ces questions qui doivent régler le sort de l’accusé.
Mais ces victimes sont peu de choses pour les vainqueurs. Ils tentent aussi de faire revenir de l’étranger ceux qui sont partis avec Wrangel. Le 5 avril 1921, le gouvernement soviétique publie son appel dans lequel il souligne :
- La plupart des réfugiés est constituée de cosaques, de paysans mobilisés et de petits employés. A tous ceux-là, le retour en Russie n’est plus interdit. Ils peuvent revenir, il leur sera pardonné, et après leur retour en Russie ils ne risqueront pas de représailles.
Le même jour, au cours d’une réunion à huis clos du politburo du comité central du RKPB prend une décision secrète, sur l’interdiction d’accueillir des subordonnés de Wrangel en République Socialiste de la Fédération des Soviets de Russie. L’application de cette directive est confiée à Felix Dzerzhinskiy, et à organisme de terreur qu’il dirige, la Vetcheka. Les fusillades reprennent de plus belle.
Trotski, homme intelligent et fin diplomate, ne voulait pas d’un massacre d’une telle ampleur. Il relève rapidement et sans consulter les autres chefs révolutionnaires Bela Kun de ses fonctions. Celui-ci est en colère face à tant d’ingratitudes. Il a déjà exécuté 50.000 personnes et se sent de taille à continuer[34].
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L’EXIL[]
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L'épopée tragique du mouvement blanc dans le sud de la Russie est terminée. Seules les troupes de l'amiral Koltchak continuent la combat.
Les réfugiés arrivent à Constantinople. Certains ont le choléra et le typhus. Donc il ne reste qu’une journée dans le port turc. Le convoi est de là dirigé vers trois destinations :
- Sur la presqu’île de Gallipoli, où se retrouvent les survivants des divisions d'infanterie de Kornilovskaya, de Markovskaya et de Drozdovskaya, le corps de cavalerie du général Barbovich, des unités du génie, trois à quatre hôpitaux militaires, les écoles de cavalerie et d'infanterie, l’artillerie, des aviateurs, ingénieurs...
- Sur l'île de Lemnos sont regroupées les unités cosaques.
- Un camp à proximité de Constantinople reçoit les civils et quelques Cosaques.
Durant les premiers mois de 1921 9.000 Russes repartent en URSS. A cette époque 100.000 Russes sont encore en Turquie. Les militaires français désarment tous les soldats de Gallipoli. Du pain et la nourriture sont apportés de Constantinople et de l'eau dessalée est distribuée aux vaincus. Les conditions de vie sont très difficiles.
A la fin de l’année 55.000 Russes blancs sont encore en Turquie. Piotr Nikolaïevitch Wrangel, comme le général de Gaulle, vingt ans plus tard, pense toujours pouvoir libérer la Russie. La plupart des militaires russes ne veulent pas quitter Gallipoli, où leurs unités ne sont pas dissoutes. Ils existent aussi des camps sur l'île d'Antigone en mer de Marmara, et plus tard au sud de Touzla, près d'Istanbul, et d'autres structures d’accueil en Anatolie gérées par l'Angleterre ou la France.
Néanmoins environ 40.000 soldats et civils de l'armée de Wrangel s’installent dans le royaume de Yougoslavie en 1921-22. Ils retrouvent dans ce pays slave environ 20.000 hommes arrivés précédemment. Piotr Nikolaïevitch décide de s'établir à Belgrade, d'où il dirige l'émigration russe et tente de réorganiser des forces.
La plupart des réfugiés russes blancs réussissent à émigrer en France, au Brésil, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Tchécoslovaquie, en Belgique, dans les Balkans, et même en Extrême-Orient, où ils retrouvent les survivants des armées de l'amiral Koltchak.
En France, ils s’installent en Corse et en région parisienne. Beaucoup d’anciens militaires et notables travaillent comme ouvriers dans les usines de Louis Renault (1877-1944). Les officiers sont contremaîtres. Mais cette situation précaire va peu à peu s’améliorer.
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LA LUTTE CONTINUE (R.O.V.S.)[]
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Dans les années 1920 1.500.000 Russes blancs, nationalistes non-Russes et vrais révolutionnaires s'opposant à la dictature stalinienne quittent la Russie.
Politique avant tout, cette émigration est également déterminée par l’extrême misère du peuple. Ces fameuses famines qui tuent des dizaines de millions de personnes du temps de Lénine et de Staline. La collectivisation et l’industrialisation forcés, les massacres de nationalistes et des derniers possédants et croyants, l’état policier font que 400.000 personnes gagnent la France, chassées de leurs premiers pays d'accueil, notamment l’Allemagne et la Turquie. Les officiers issus de la noblesse ne constituent qu’une part infime de cette population émigrée. Ce sont surtout des intellectuels et des scientifiques, dont beaucoup sont juifs et marxistes. Néanmoins une partie d’entre eux conserve ses illusions de reconquête.
Le 1er septembre 1924, toutes les associations d'émigrés blancs s'unissent pour la création du R.O.V.S. (l'Union Générale des Combattants des Armées Russes, en langue russe Русский Общевоинский Союз), dont le premier dirigeant est le lieutenant-général baron Piotr Nikolaïevitch Wrangel, commandant en chef de l'Armée russe en exil. Le but est la poursuite de la lutte armée contre le régime communiste installé en Russie depuis 1917.
Wrangel veut réunir les anciens combattants et jeunes militants russes dissipés dans les pays du monde, renforcer des liens moraux entre eux, sauvegarder les meilleurs traditions de l`Armée Impériale Russe. L`Union Générale est conçu comme une structure nationale hors des partis politiques. La devise de l`Armée des Volontaires pour une Russie Grande, Unie, Libre devient celle des combattants du R.O.V.S. Dans les années 1920-1930 cette organisation est divisée en six sections :
- 1re Section en France ;
- 2e Section en Allemagne ;
- 3e Section en Bulgarie ;
- 4e Section en Yougoslavie ;
- 5e Section en Belgique ;
- 6e Section en Tchécoslovaquie.
Comme nous le précise le site web de la R.O.V.S., les associations des régiments de la Garde Impériale, la Société des Gallipoliens, des groupes particuliers d`anciens combattants et des personnes privées sont aussi inclus dans la R.O.V.S.. Les dirigeants de la R.O.V.S. se soucient beaucoup de l’éducation des jeunes générations d`émigrés Russes dans l’esprit chrétien, patriotique et anticommuniste. De nombreuses écoles d`officiers et de sous-officiers, des cours de préparation au service militaire fonctionnent au sein de la R.O.V.S.. L’organisation compte à peu près 40.000 membres.
Wrangel déclenche une guerre contre les services soviétiques. Des volontaires de la R.O.V.S. effectuent un travail clandestin en URSS. La plupart d’entre eux sont arrêtés, torturés et fusillés par la Guépéou, puis le NKVD. D’autres volontaires de la R.O.V.S. vont combattre aux côtés des Carlistes en Espagne, des troupes nationalistes en Chine (1936 - 1939) et en Finlande (1939 - 1940). Pendant la Seconde guerre mondiale une partie d’entre eux vont continuer le combat aux côtés des alliés et des Tchetniks, les autres s’égarent dans une collaboration avec un autre régime totalitaire qui n’a que du mépris pour les slaves.
Le NTS (Union Nationale Travailliste) supplante peu à peu le R.O.V.S. chez les jeunes Russes.
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SON EMPOISONNEMENT[]
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Piotr Nikolaïevitch ne connaît guère ces conflits et ces divisions entre Russes blancs. En 1925, il s'établit comme ingénieur à Bruxelles. Il va aussi très souvent en Yougoslavie et à Paris.
Il se souvient de l'ancienne armée russe, avec ses qualités de générosité, mais aussi avec ses défauts terribles, inhérents au caractère russe : jalousie, défaut de caractère, indiscipline foncière. Ce désordre s'est accru dans l'armée des volontaires, qui ne possède même plus l'armature de l'armée impériale. Il se souvient aussi de ses efforts condamnés à l'échec.
Pourtant, un moment, Wrangel croit à la victoire. Mais alors ce sont les divisions de l'Europe d'après 14-18 qui brisent dans l’œuf cet espoir. Wrangel en conçoit quelque amertume et l'exprime dans ses Mémoires. Pour lui la responsabilité de l'Europe, surtout celle de l'Angleterre dans le triomphe du bolchevisme est totale.
Ce chevalier moderne vit mal l'exode profondément attristant des centaines de milliers de réfugiés russes condamnés à l'exil. Il vit à Bruxelles, où il va mourir encore relativement jeune. La famille de Wrangel constate que la date du commencement de la maladie de leur parent correspond à celle du départ du frère du maître d'hôtel, hébergé chez eux.
Le premier président de la R.O.V.S. (1924 - 1928) est probablement empoisonné par un agent soviétique de la Guépéou. Il décède le 25 avril 1928, à Bruxelles, après avoir rédigé ses Mémoires, qui seront publiées en 1930 chez Taillandier :
- Wrangel, Mémoires du général Wrangel, avec 15 planches hors-texte en héliogravure, Tallandier, 1930.
Ces Mémoires, dont la lecture paraît parfois un peu lourde à certains lecteurs français à cause de l'abondance et de la précision des détails, sont un beau livre et un grand document d'histoire russe.
Les obsèques de Wrangel et l'enterrement ont lieu en Serbie selon ses vœux. Son corps est inhumé dans la petite église russe de la Sainte Trinité à Belgrade.
Le 6 mai 1928, a lieu, salle Gaveau, une soirée à la mémoire du Général Piotr Nikolaïevitch Wrangel qui rassemble presque toutes les organisations civiles et militaires russes de Paris. Le général A.P. Koutiepoff, son successeur (1928 - 1930) est enlevé et assassiné en 1930. Le général-lieutenant E.K. Miller, troisième président de la R.O.V.S. (1930-1937), est enlevé et emmené secrètement a Moscou et tué.
Quand les communistes prennent le pouvoir en Yougoslavie, sa pierre tombale et la plaque commémorant son décès sont cachées[35].
Mais depuis la fin de la dictature titiste la ville de Sremski Karlovci le Synode Saint de l'Église Orthodoxe russe à l'étranger fait construire avec le soutien financier et technique du Ministère russe de la Culture un monument en son honneur.
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NOTES ET REFERENCES[]
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- ↑ Врангель П. Н. Южный фронт (ноябрь 1916 г. — ноябрь 1920 г.). Часть I // Воспоминания. — М.: ТЕРРА, 1992.
- ↑ Les Relations franco-soviétiques (1917-1967), Études et documents Payot, Maxime Mourin, Payot, 1967.
- ↑ БИОГРАФИЧЕСКИЙ УКАЗАТЕЛЬ
- ↑ Livre Noir Du Communisme: Crimes, Terreur, Répression, Stéphane Courtois, Mark Kramer, Harvard University Press, 1999.
- ↑ БИОГРАФИЧЕСКИЙ УКАЗАТЕЛЬ
- ↑ La revue de France, Volume 1, Marcel Prévost, Raymond Recouly, Renaissance du livre, 1927.
- ↑ Шамбаров В. Е. Белогвардейщина. — М.: ЭКСМО, Алгоритм, 2007. — С. 449. — (История России. Современный взгляд).
- ↑ БИОГРАФИЧЕСКИЙ УКАЗАТЕЛЬ
- ↑ Témoignages inédits sur l'Histoire, Christian de Gastines.
- ↑ Revue des deux mondes (Paris), 1930/03, p.106/134.
- ↑ Le Correspondant, Volume 321, 1930.
- ↑ Mémoires du Général Wrangel, Petr Nikolaevich Vrangel (baron), J. Tallandier, 1930.
- ↑ Criticón, n°115, sept.-oct. 1989.
- ↑ Criticón, n°115, sept.-oct. 1989.
- ↑ Criticón, n°115, sept.-oct. 1989.
- ↑ La révolution inconnue: Russie, 1917-1921, Voline, Verticales, 1997.
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- ↑ Criticón, n°115, sept.-oct. 1989.
- ↑ La révolution inconnue: Russie, 1917-1921, Voline, Verticales, 1997.
- ↑ Georges Oudard et Dmitri Novik, Les chevaliers mendiants, Paris 1928, Plon.
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- ↑ Georges Oudard et Dmitri Novik, Les chevaliers mendiants, Paris 1928, Plon.
- ↑ Georges Oudard et Dmitri Novik, Les chevaliers mendiants, Paris 1928, Plon.
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- ↑ 12-16 novembre 1920, L’évacuation de Sébastopol, Article de Nikolaï Tcherkashyn, Extrait de la brochure de l’expédition maritime commémorative de Bizerte à Sébastopol, Traduit du russe par Pierre de Saint Hippolyte.
- ↑ La révolution inconnue: Russie, 1917-1921, Voline, Verticales, 1997.
- ↑ 12-16 novembre 1920, L’évacuation de Sébastopol, Article de Nikolaï Tcherkashyn, Extrait de la brochure de l’expédition maritime commémorative de Bizerte à Sébastopol, Traduit du russe par Pierre de Saint Hippolyte.
- ↑ 12-16 novembre 1920, L’évacuation de Sébastopol, Article de Nikolaï Tcherkashyn, Extrait de la brochure de l’expédition maritime commémorative de Bizerte à Sébastopol, Traduit du russe par Pierre de Saint Hippolyte.
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- ↑ 12-16 novembre 1920, L’évacuation de Sébastopol, Article de Nikolaï Tcherkashyn, Extrait de la brochure de l’expédition maritime commémorative de Bizerte à Sébastopol, Traduit du russe par Pierre de Saint Hippolyte.
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- ↑ Georges Oudard et Dmitri Novik, Les chevaliers mendiants, Paris 1928, Plon.
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- ↑ La révolution inconnue: Russie, 1917-1921, Voline, Verticales, 1997.